crachats

je lis ces quelques lignes sur un homme qui demandait asile ici
forcé à rentrer dans le pays de sa naissance
un pays très pluvieux et rouge
et qui est mort là-bas
d’une seule balle

la nuit grouille au-dehors

aujourd’hui dans le premier soleil de février j’ai acheté du pain encore brûlant
toute la rue sentait le citron et l’essence
au Moyen Âge il arrivait qu’on vole des cadavres
pour en étudier la constitution
cela aussi je l’ai appris aujourd’hui
dans la salle de classe grise et universitaire
au-dehors les arbres crissaient
se soulevaient dans la pluie sale, la crasse qui remue

et toi tu dors dans mes bras femme lumineuse de cendre et d’eau
le boulanger a sorti ses croissants du four et le chat s’est enfui

je vois au journal télévisé
les habitants de villes en flammes
entre les faits divers sordides et les derniers événements mondains
en fond sonore de cette publicité incitant à partir en Grèce on entend
un faux air de bouzouki
il a quelque chose de très cruel

trois caméras de surveillance se font face au milieu du boulevard
très cruelles
la petite fille a retrouvé le chat
au-dehors une femme ivre et meurtrie
au-dehors un viol banal et policé

et il ne se passe rien d’autre

son du soleil acide

la vielle allume des feux étranges
dans ma mémoire
il se passe dans ce son quelque chose de l’été aigre
le soleil acide, doux et perçant
il y a dans ce son quelque chose de tristesse et de pierre arrachée
quelque chose de la bruyère
vielle-complainte
comme un appel à l’étoile qui naît, à l’étoile qui meurt
vielle violente et amoureuse
voix pétrie et stellaire
nef des chemins de terre
très près du corps de l’entour des bras
grésillement du champ sous le givre, bruit du clavier comme de vieux os
grésillement de la douleur tue et quotidienne qu’ont au fond ceux qui vivent
et ta basse enveloppement constant recueilli
chuintement grave de la terre rauque
labourée

arrive le granit fou
cathédrale tendue
projetée
dans un vol de grands draps noirs très haut
vient le geste brutal et doux
suspendu — le serment
à la vielle les déchirures sont exercées d’un coup de poignet
main tendre chagrinée
saccade : ancien soliloque de l’égarement

la vielle est un mystère de vin âcre
vielle-prière dansée au bas des montagnes quelque part au centre du village enfoui
talons, bras,
festin
prière tumultueuse et sans dieu, à rien d’autre que la nuit de joie
alors souvent mêlée remuée enchevêtrée d’hommes et de profonde cornemuse
la vielle
allume des feux étranges dans ma mémoire

Glasgow

artères brunes et rouges — noir et or
la pluie sur Glasgow vient de grands trous dans l’univers
et cette ville
est comme un vieux phare
percé de cornemuse et de vent
(y cheminent des amis ou
des amateurs d’étoiles)

c’est toujours octobre à Glasgow
Glasgow route des fantômes
magma de rails, de mémoire et de suie, construction pétrissable malléable arpentée
dans cette ville nous sommes tous des passagers
dans cette ville nous sommes tous des passagers

chaque homme qui passe dans Glasgow est un oiseau noir
là le monde prend feu et lieu dans les langues
c’est un anglais de volcans et un anglais de camarades anciens
et lorsque se saluent les femmes alors le fleuve écoute
pour le voir il faut descendre dans les rues basses et mornes

Glasgow montagne lente
Glasgow ville de nuit et d’attente magnifique
lanternes

Grand’voiles

J’ai froid mon amour j’ai si froid on est
en septembre
et on se caille les mains gelées dans les poches à la lisière de la ville
ma nuque est une longue
gerçure
toutes mes angoisses sont édentées à force d’être là, je parcours avec toi la répétition des rues fatiguées
réverbères impartiaux dispersés en lueurs glaciales ou attentives
dans
mes mains
ma poitrine

je cherche un pays à quelques heures d’ici par la mer
où nous pourrions reprendre le soleil
et l’amarrer à nos cris
pour atteindre le phare il faut marcher longtemps dans le cimetière
des baleines
long château de carcasses
dans cette quiétude algueuse elles font bruisser le désert de leurs os
il y a au-dessus de leurs masses tranquilles des
grand’ voiles emmêlées

et
leurs
claquements définitifs
nous poursuivent

nous marchons sans jamais atteindre le port

déborder

couru ensemble on était plein dans la nuit dévalant des escaliers la multitude de ruelles illuminant les murs de rouge et de noir fracas d’étincelles et de souffles on a couru
et on a pris les ponts
une horde de louves et d’anges crasseux avec le sang monté aux joues avec les mains agrippées aux réverbères et les flics derrière nous
nos corps étaient partout la nuit était partout dans nos bouches et nos yeux et on a pris les ponts
un feu prit soudain quelque part
tes cheveux se couvrirent de roses
et les flics derrière nous
éclats de verre, un total abandon, un embrasement
nous nous tenons par la main envahissons l’aube dans cette ville grande vieille grise grelottante solaire et sordide
s’échapper
nous n’irons pas travailler demain

Saisir

et nos mains transies dans la terre envahie de rumeurs
des femmes là-bas
qui évaluent la distance entre leur ombre et leurs rêves

assise j’ai compté les insectes
sur mes yeux
fantômes
les précipices devant moi étaient nés avec les chardons

brouillards arides
la distance jusqu’au fleuve est celle du silence
terres arables
parfums âcres
usines glacées

la nuit
taillée
brûlante

tout autour

il faut que tu sois seul pour m’entendre
la ville ne laisse paraître ni colère ni chagrin

chantiers en rouille
tranchant des bruits
la ville inexorable
et dans ta tête les
carcasses
ogres
lucioles
stigmates laissées par les nuits en signe de bienvenue

rappelle-toi la nuit où nous avons rendu son odeur au torrent
rappelle-toi la raison qui nous pousse à fuir

désirs et murmures
le ciel noirci par les cris des insectes
leurs corps s’éteignent
vient le soir

Jour des crânes

Nous marchons à grands pas avec les morts
nous marchons avec les gazelles
nous marchons avec les cigognes
nous marchons à grand coups de graines et de ramilles

si les arbres nous tournent le dos c’est par pudeur
pour ne pas voir les araignées éclore

nous marchons avec les morts et nous avons gardé les restes dans notre poche
mêlés aux cailloux
aux odeurs de doute

nous marchons avec les morts
encore tant d’ombres à écrire
le vent ce soir, et cette écume

solitaire cette nuit le grand loup
arpente l’horizon sèche
salue la forêt hasardeuse

la fuite est proche

sentier dents luisantes
les falaises se lancent à la poursuite des fleuves
voici le rocher voici le seigle
voici la grive couverte de sang
et voici la petite fille qui s’étonne

ces temps-ci hommes et sagaies se confondent
ils enterrent leurs proies en secret
jours de griffes et d’orage

tremblent les érables
(rumeurs outre) jours de déserts

les villes ne sont plus faites pour accueillir les éclairs
les villes sont secouées de petites bêtes amères
les villes sont tendues de cordes raides
nous n’aurons pas de remords pour le temps qui vient

et la forêt brûle
la fuite aveugle

solitaire le loup cette nuit
plus loin le sang
et la route

Sauvage

Les herbes s’avancent
vers la maison et l’envahissent sans oublier les recoins
les herbes
comblent les béances des ruines avec leur ombre
les herbes
asiles
les herbes au fil des lucioles et
on dirait qu’elles s’absentent parfois

les pierres longues et obscures
enfouies là
terre noire
terre-charbon terre-débris
et le parfum humide
voici épices et abeilles
la terre où enfouir nos ongles la terre
en friche

l’aube est encore lointaine
encore auxiliaire

(je ne parlerai pas des enclos fiévreux
mon ventre n’est bon qu’à dire la lande qui frissonne)

au loin on s’abreuve du vent et de la houle et
des lumières blafardes de la maison aux herbes
on se nourrit carnivores
toujours absent le reptile

S’entremêlent les branches du
sycomore et du hêtre
elles laissent entrer nuit et hiver
le froid dérange le dialogues des chouettes

Gardiens des vents
nos mains sont liées par les pluies
bleues comme litanies de cimetière
légères comme os sur écume
poignards sur le ciel sec

sur la dune les oiseaux dansent avec les morts,
sauvages contre les marées