le soir s’observe à la loupe aux côtés des fourmis et des grouillantes
la rue superbe et nuit de bataille et de réverbères gisants
verre brisé
des foules d’animaux à la lumière des néons
il ferait bon-vivre au soleil
là où les fleuves se retirent
éventrés
découvrant une femme belle et grise qui marche à petit pas
les seins hauts avec
des îles à son bras, brutale et sommeilleuse
couverte d’algues horizontales
une océanographe amoureuse
abîmée par l’obscur
et le large
invécu
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Si je me couche… – Philippe Jaccottet
Si je me couche contre la terre, entendrai-je
les pleurs de celle qui est en dessous,
les pas qui traînent dans les froids couloirs
ou qui trébuchent en fuyant dans les quartiers déserts ?
J’ai dans la tête des vision de rues la nuit,
de chambres, de visages emmêlés
plus nombreux que les feuilles d’arbres en été
et eux-mêmes remplis d’images, de pensées
— c’est comme un labyrinthe de miroir
mal éclairé par des lampes falotes —,
mais aussi dans les foires d’autrefois
j’ai pensé en trouver l’issue,
moi aussi j’ai langui après des corps.
J’ai plein la tête de faux-jours, et de reflets
dans les trappes d’un fleuve ténébreux,
je me souviens des bouches inlassables sur les bords —
tout cela maintenant pour moi est sous la terre
et mon oreille collée à l’herbe l’entend,
à travers le tonnerre de sa propre peur et les coups de scie des insectes, qui gémit —
donnez lui le nom que vous voudrez, mais elle est là, c’est sûr, elle est en-dessous, obscure, et elle pleure.
Une heure quinze
c’est au dernier métro il y a ceux qui sont étrangers au jour
ceux qui ne connaissent pas midi
les filles en vestes de cuir noir
les filles sans personne les filles bière à la main les filles avec du rouge sur les lèvres un peu à côté
les filles les yeux à côté de la bouche
c’est au dernier métro les filles tristes et les ivrognes
les paumés du milieu de la nuit avec leurs chiens aux yeux tombants et doux
quelque chose d’une brisure
on sait que le métro entre une heure quinze et cinq heures et demie sera désert
rendu aux fantômes
artères
litanies sales
crasse habituelle devenue trop épaisse pour effacer
graffitis, murmures, rails et rats, on est plus près de la terre sans le reste des gens
pressés
ici on a le temps on n’est plus
à ça près
c’est au dernier métro les filles qui rentrent de fête qui soudain sont devenues tendues
serrent leurs clés dans leur poing dans leur poche au cas où, s’il m’arrive quelque chose tu penses tout le temps
tu te concentres
au dernier métro les filles qui s’embrassent et les hommes maigres qui les regardent
le dernier métro ne leur appartient plus aux hommes fêtards trop bruyants ils se
retirent d’eux mêmes
face au silence instauré par ceux qui savent
c’est une sorte de recueillement face à la nuit et la fatigue et les corps
le dernier métro l’heure secrète des vivants
l’heure qu’on garde pour soi qu’on évoque doucement le lendemain vers onze heures quand on se lève
oui je suis rentrée j’ai pris le dernier métro sinon j’aurais dû prendre un taxi
on ne dit pas ce qu’on y a pensé ce qu’on y a lu ce qu’on y a observé
c’est un secret qui se partage entre les noctambules aux traits absents
il y aura encore après les cheminots qui se salueront et qui rentreront et puis enfin laisseront les rails les couloirs
à l’écho
trois ou quatre heures sous la ville
vides
Cailloux
des petits hérissons cosmiques qui grignotent les pierres
des petits hérissons sur la lande comme des étoiles
en cette terre âpre éloignée
il faut croire que les morts se promènent
certains soirs
pas compté le nombre de battements
pas compté le nombre de larmes le nombre de pas
pas compté les verres pas vu venir l’usure
j’ai passé la nuit à pétrir une pâte d’os et de pluie et de vin
à broyer
très fin mes mains et le souffle
de mon fantôme
j’ai tenté de me souvenir de ce que nous avions appris il y a quelques années sur le nombre des étoiles
la trajectoire de l’ennui
pas compté mes peurs pas mesuré le froid quand les lumières s’éteignent dans la ville au milieux des boyaux des grands blocs de rouille et de nuit
des navires
à lancer des sorts au soleil depuis les ponts des navires
les yeux hagards déchirés
seule le soir
la nuit entre terre et mer
mon corps est un réseau de rues désertes
je suis toujours dans ce jardin mort discret tranquille
avec une seule rose vieillie qui court le long
des murs
chemin de neige
la solitude je la bois toujours à grands verres
j’observe les animaux
envie leurs griffes
je mange ma propre rage
lancer des sorts au soleil depuis les navires
est un recueillement
rentrer en soi
partir et laisser faire la tristesse
sur chaque crâne
des libellules
l’aurore la langueur toi tes mains tes bras transpercer l’orage l’horizon
empoisonnée furtive ma maison
questions
questions
questions
en bas la route
amante virile et intrépide je marche à l’envers des rêves je fume à l’endroit du monde le plus grand
je mords des doigts invisibles et mourants
des fantômes apparaissent derrière des enfilades de vitres ils sont attendus le mardi
je suis de la couleur du ciel bas quand il est midi
je suis vide et soûlée à l’odeur des vagues
je suis vide
ma main est une amertume
disparaître serait peut-être une bonne chose
disparaître serait peut-être mourir mais pas seulement
disparaître serait relire la route et revenir enfin main dans la main avec ce qu’on est
les jardins en pleine ville
sur toi l’odeur persistante de ceux que tu as aimé
le brouillard la douleur l’envie le désir
à surmonter sur le pas de la porte le matin en vivant encore un peu quelques heures sans toi
il s’agit d’écouter les morts écouter les battements des portes et des navires
lancinants graves saccadés à la manière du givre
pourquoi pas ouvrir des portes
pourquoi pas relâcher les animaux les fauves hors de soi
un cri
mon râle
un frisson
commence sous la terre la saison des géants
comment faire pour ne pas te perdre
garde sur toi
l’odeur persistante de ceux que tu as aimé toutes ces nuits d’avant
quelques anges
pour mieux vider ta tête de leurs voix
Solitude
En écoutant le Grave de la deuxième sonate de Bach pour violon seul interprété par Nathan Milstein.
haute et vaste forêt tenue en éveil par les loups
hiver au milieu des feux
les souvenirs tiennent bon
la ville je l’ai laissée derrière moi et j’ai emmené ma solitude
je chemine main dans la main avec une ombre
âcre la cendre se mêle au givre
ta voix de brisure et de falaise
se confond avec le vent
nuée de visages et de sensations de corps de morsures de tressaillements
un grand son noir et qui transperce
tu m’éreintes d’échos et de couleurs froides
je cherche de la lumière dans des petites maisons sur les chemins
en bas des champs de glace
je cherche des traces
des paroles des appels
je cherche ceux qui ne m’oublient pas
mais tu es là toujours
tu ne me laisses pas fuir
tenaille
la fatigue ne suffit pas à t’oublier
je ne suis pas d’ici
je me retranche en moi-même
oraison
épines
avec la peur et toi pour seule frontière
24. 06. 14.
Jour des crânes
il n’y aura plus de prisons
juste les vivants
chanson des saules
grossières racines
horizons pesants
les saules sont nés au chevet des fleuves
seuls
perclus d’orages
ils s’en allaient quémander leurs oiseaux
leurs histoires sont brèves
leurs histoires sont brusques et sans retour
à la limite de nos blessures
ils avaient envahi la nuit cousue de chagrins
la nuit de plus en plus froide et précipitée
de plus en plus grande et usée la nuit
lacérée
tout autour des saules tremblants
• • • • • un chuintement sur la lande
la crue du fleuve à la saison dernière
a recraché vents et frissons
lucioles et
ronces
grossières racines
horizons pesants
dans le matin s’éteignent les oiseaux
dans le matin les saules
s’égarent
vieillissent
n’attendront pas l’orage