les femmes emportent la nuit sur leurs épaules

elles ont la tête parsemée de roses et de lames tranchantes
les filles embarquent au petit matin avec leur force de cordages et de voiles hissées
les filles chantent ensemble la litanie féroce après toutes les batailles
les filles avec leurs mains caleuses et leurs sourires qui fracassent tous les bourreaux
les filles rauques oh les femmes rages irisées et sanglantes
mon amie mon amante miraculeuse ce matin dans le ciel rouge tu te tenais dans ma chambre au
milieu de Paris et au milieu de la mer
le couteau entre les dents tu te tiens debout avec ton corps vivant mordoré et tâché de cambouis sang fruits mûrs et de brouillard et de mille autres choses brisées
tu es debout avec tes seins en friche dans ce quartier de truandes
et mon corps garde la trace brillante
de ta morsure là

il se passe quelque chose dans les yeux des filles le soir
à la forge elles lèvent leur épée
et la nuit vient
débordante
écarlate
anarchiste
heurtée

après toutes les batailles
il y a ta chanson dure et infiniment triste ta
chanson de maraude
elle dit gravement : je te l’apprendrai
ma chanson de maraude
et aussi ma chanson de guerre contre ceux qui nous broient le corps et nous l’épuisent nous harassent
près de la forge je t’apprendrai à tailler tes flèches plus vives plus droites et plus précises
je t’apprendrai le cerf-volant et l’histoire du navire qui n’a pas sombré

vous nous avez dit harpies et fragiles
vous nous avez crachées
oh ça oui
violentées assassinées exploitées
butées sans même un duel
en même temps que vous faisiez de nous des temples et des objets sacrés
nous avons été décorations agréments machines
nous avons été des sexes pour métaphores pauvres
ornements doués de parole et de perpétuer la lignée
on nous a dit mères
on nous a dit traînées
on nous a dit que ce corps que nous n’avons jamais voulu et que nous avons vomi et que nous avons voulu détruire, ce corps que vous nous avez imposé
était beau pour les hommes
qu’il était beau parce que les hommes
on nous a dit terrifiantes et malsaines
on nous a enlevées à nous-mêmes
mais nous toujours nous avons hurlé et tout
détruit
reconstruit nos propres citadelles

nous sommes des femmes drapées de rage et de négation
les femmes de rage sont tonitruantes et les femmes de rage sortent les couteaux
et les femmes de rage
s’aiment
et moi je te regarde au milieu de Paris et de la mer et tu as jeté tes habits sur ton épaule et tu pars
vers la forge
après toutes les batailles.

Repose-toi je t’en prie
pose un peu de glace sur tes cicatrices
j’espère pouvoir te retrouver ce soir
dans ce café clair-obscur et désert, devant le jardin
j’espère que je te prendrai la main
et que tu me prendras la main
et que tu serreras