il n’y aura plus de prisons
juste les vivants
juste les vivants
le soir vient doucement
je travaille à la lampe
pièce froide et déchirures
autour de moi vit une foule
des amas d’étoiles et d’inconnus
j’ai dressé des remparts que je ne sais plus comment ni quand franchir.
mes yeux se ferment mais il faut travailler
gestes automatiques et pensées de hasard
ma tête me fait mal
ces temps-ci je vis aux crochets de mes rêves
mes mains tremblent
je ne sais plus comment apaiser ma faim
Un jour encore et c’est pour voir
Et pour aimer ces choses
Guillevic in Terre à bonheur
grossières racines
horizons pesants
les saules sont nés au chevet des fleuves
seuls
perclus d’orages
ils s’en allaient quémander leurs oiseaux
leurs histoires sont brèves
leurs histoires sont brusques et sans retour
à la limite de nos blessures
ils avaient envahi la nuit cousue de chagrins
la nuit de plus en plus froide et précipitée
de plus en plus grande et usée la nuit
lacérée
tout autour des saules tremblants
• • • • • un chuintement sur la lande
la crue du fleuve à la saison dernière
a recraché vents et frissons
lucioles et
ronces
grossières racines
horizons pesants
dans le matin s’éteignent les oiseaux
dans le matin les saules
s’égarent
vieillissent
n’attendront pas l’orage
dans les yeux des millions d’engrenages
se lever
(seulement ton fantôme peut-être,
seulement ton ombre)
se lever et se dire
encore une à tirer
se lever et tenter de ne pas penser
rêver est devenu trop rare
boire ton café et te demander
si tu tiendras encore
et combien
de temps
(il est six heures il fait
nuit)
le temps
ton temps qui est à vendre ton temps à oublier
ton temps à consacrer
ton temps à sacrifier
ton temps à jeter à ignorer ton temps à abandonner
ton temps qui n’est pas le tien
les horloges indiquent éternellement des heures
trop matinales
trop tardives
ce sont pourtant les heures qui
conviennent pour-plus-d’efficacité
le temps à vivre c’est dépassé
et le temps que tu passes à te dire que c’est pour la bonne cause
ton temps que tu passes à mourir doucement
lentement discrètement sans rien dire peut-être même sans savoir
pour ton patron
ton chef
ton maître
• • • • ton oppresseur
— bonjour monsieur
ce matin comme tous les matins le ciel est gris
et pas le choix
le choix c’est pour les riches
toi tu penses d’abord
à survivre
et quand survivre sera devenu trop lourd…
— oui — la question — et quand survivre sera devenu trop lourd ?
puisqu’il faut
travailler
puisque la société
le dit
puisqu’ils ont érigé la mort en idéal
que faire quand on te foutra dehors
que faire quand tu ne seras plus
Utile
voilà ta peur
la peur qui t’empêche de hurler
la peur pour diviser
la peur de ne plus travailler
parce que ne plus travailler
la société a dit que c’était honteux
et parce que la réalité
de ne plus travailler
c’est de crever pareil
et toujours pour les mêmes
— et c’est cela qui te fait croire
que tu as besoin du maître —
te faire croire à toi-même que tu ne vaux plus rien
puisque tu n’es plus
rentable
sans travail tu n’es plus personne aux yeux des autres travailleurs
aux yeux des autres
exploiteurs
ne plus travailler, la même misère les mêmes humiliations
alors que tu devrais pouvoir vivre enfin
• • • • • • • • • • • • • • • •tout est clos
la liberté se paye elle aussi
la liberté si tu es sage
la liberté peut-être à la fin de la journée
la liberté qu’on t’accorde alors même que tu n’as plus le courage d’être libre et de vivre
la liberté donnée aux êtres déjà broyés
la liberté donnée comme du lard aux chiens
et puis la résignation
l’acceptation parce que
c’est comme ça
on ne peut rien changer
tu l’as appris à l’école il ne faut pas
se révolter
il faut subir et dire merci
courber l’échine et obéir
sinon pas de récompense
sinon la fin du mois
sera dure
est-ce cela vivre
être heureux avec ce qu’on a
se contenter des miettes
de la mansuétude des maîtres
il faut être content de ton salaire
il y a pire ailleurs
et le mériter
être un
bon travailleur
assidu efficace ponctuel docile
infatigable
pour bouffer
car il faut bien vivre disent-ils tes compagnons ridés
tannés usés
il faut bien vivre la vie
qu’on nous donne
mais au fond
tu en viens à désirer crever
pour ne plus avoir la misère le matin dans les yeux
pour ne plus penser
tu connais l’histoire
ils vont dire un nouvel immolé
et faire semblant de se demander pourquoi et écarter les raisons noires
et dire que tu étais
un cas isolé
il avait des problèmes personnels vous savez
pour ne pas voir ne pas entendre ne pas admettre
qu’ils t’ont tué
que tu es loin d’être le premier
pour ne pas admettre que c’est eux
qui t’ont déchiré mutilé brisé oublié écrasé
et ils iront expliquer
ce que tu aurais dû faire
comment tu aurais dû réagir
comment tu aurais dû dialoguer sereinement
comment tu aurais dû ne pas trop montrer aux autres
la violence les raisons de l’impuissance
ils iront expliquer de rester dociles
sans avoir jamais eu les mains sales
sans avoir jamais eu
à rendre des comptes
eux
désirer crever
quand les prochaines minutes sont impossibles
pour ne plus exister ici selon leurs règles
pour effacer le corps
ton corps qui est à vendre ton corps à oublier ton corps à consacrer
ton corps à sacrifier
ton corps à jeter à ignorer
ton corps à abandonner
ton corps qui n’est pas le tien
tu es les mains
de ton patron
tu dors pour ton patron
tu aimes pour ton patron
tu te maintiens en vie pour ton patron
tu respectes ton patron — et les horaires
ton temps qui est leur temps c’est l’usine le trajet les nuits sans sommeil
les pauses café le déjeuner au travail le dimanche où tu penses au lundi
leur temps c’est l’arrêt de travail à cause d’un accident de travail
c’est quand tu oublies ceux que tu aimes pour obéir à celui que tu hais
ta vie devient l’usine et l’usine
ronge inlassable
tu es à sa disposition à sa merci
lui ton patron ne sait pas que tu fais semblant ;
dans l’être qui vit encore
tu te dis renverser
vaincre, abolir
mais tu te tais
parce qu’il y a
pire ailleurs
parce que si tu en es là
c’est que tu l’as bien un peu cherché
puisque tu avais pour toi l’égalité des chances
quand tu veux tu peux
parce qu’il fallait réussir
parce qu’il faut bien s’occuper bien que tout le monde s’accorde à dire que
ce n’est pas l’idéal
parce que le rire et l’amour et la colère ne peuvent pas être gratuits
ça c’est encore une utopie un coup de tête une fumée
au lieu de rêver il faut faire croire qu’on aime se vendre
il faut contribuer participer à ce qui te détruit
se rendre utile
il faut Faire il faut être
actif
travailleur ou bon à rien il faut choisir
tu vas quand même pas vivre
sur le dos des autres
hein ?
tu vas quand même pas
vivre ?
he walked so many roads
des papillons morts
sous les pierres ou
derrière les vérandas
au soleil
now he dreams of spiders
il rêve de la musique sous les mers et ailleurs
la musique d’algues et la musique de dimanches
il a salué toutes les reines des œillets les impératrices de l’heure rouge
dans son jardin
au matin sous la pluie après la rosée
graines et perles
cailloux et fruits
a sweet and thin
bitterness
l’angoisse de la solitude et de l’effacement
lancinant
29. 04. 13
dans le sable et le brouillard
les morts sont silencieuses
couvertes par la distance
au fond des ruelles le sang des enfants
se mêle
au parfum des oranges
du seigle dans les mains
des armes dans la boue
la grange
on y entreposera les iris
à côté des fusils
tout proche où le sable se lève
là bas dans les ruines et les dents de notre grande sécheresse
nous sommes partis construire
les étangs soudains
les déserts de glace et les ciels de verre
nous guident le feu du châtaignier
et
superbes évadés
agrandis de couleurs et de blessures
courant dans les entailles hurlant les brèches
nous avons salué la stupeur du vent d’ouest
à la frontière de l’autre pays
l’étrangère est restée chez nous le temps d’un feu
ses paupières baissées vers l’âtre
là où se levait le vent
sur ses mains brunes l’odeur âcre des friches
langues de la douleur et des serpents
et son regard grand fouillis de racines et d’étoiles
et sa bouche de cèdre et de violence
coquillages sous les villes et cheveux de foudre
là dedans les loups les visages
l’odeur de seigle et l’oubli des roses
l’histoire longue des exils
à la frontière de nos yeux
elle racontait la mer avec sa voix de givre et d’aurore
sans lever le regard, sans voir nos larmes, sans buter sur les mots
parfois s’écorchant simplement le doigt sur un paysage
à la nuit tombée elle remercia les oiseaux
secoua ses colères déplia son ombre
nous laissa en cadeau pain et sel
poursuivit sa course
géante et délabrée
et nos mains transies dans la terre envahie de rumeurs
des femmes là-bas
qui évaluent la distance entre leur ombre et leurs rêves
assise j’ai compté les insectes
sur mes yeux
fantômes
les précipices devant moi étaient nés avec les chardons
brouillards arides
la distance jusqu’au fleuve est celle du silence
terres arables
parfums âcres
usines glacées
la nuit
taillée
brûlante