dans le sable et le brouillard
les morts sont silencieuses
couvertes par la distance
au fond des ruelles le sang des enfants
se mêle
au parfum des oranges

du seigle dans les mains
des armes dans la boue

la grange
on y entreposera les iris
à côté des fusils

aride

tout proche où le sable se lève
là bas dans les ruines et les dents de notre grande sécheresse
nous sommes partis construire
les étangs soudains
les déserts de glace et les ciels de verre
nous guident le feu du châtaignier

et
superbes évadés
agrandis de couleurs et de blessures
courant dans les entailles hurlant les brèches
nous avons salué la stupeur du vent d’ouest
à la frontière de l’autre pays

le temps d’un feu

l’étrangère est restée chez nous le temps d’un feu
ses paupières baissées vers l’âtre
là où se levait le vent

sur ses mains brunes l’odeur âcre des friches
langues de la douleur et des serpents
et son regard grand fouillis de racines et d’étoiles
et sa bouche de cèdre et de violence

coquillages  sous les villes et cheveux de foudre
       dedans les loups les visages
l’odeur de seigle et l’oubli des roses
l’histoire longue des exils

à la frontière de nos yeux
elle racontait la mer avec sa voix de givre et d’aurore
sans lever le regard, sans voir nos larmes, sans buter sur les mots
parfois s’écorchant simplement le doigt sur un paysage

à la nuit tombée elle remercia les oiseaux
secoua ses colères déplia son ombre
nous laissa en cadeau pain et sel

poursuivit sa course
géante et délabrée

Edouard Glissant — L’ardue nécessité…

En panne d’inspiration ces temps-ci, ayant l’impression d’écrire toujours les mêmes choses, j’en profite pour lire plus de poésie.
Je recopie donc un extrait du magnifique (et long) poème Afrique d’Édouard Glissant, poète que j’ai redécouvert dernièrement et dont les textes sont d’une puissance peu commune.
[…]
L’ardue nécessité en vain tordre ton corps, famine
Où poussent vents sagaies mers et fureurs, forêts surprises
La maille du vent lèche le brasier, des enfants crient
Une case brûle un guerrier meurt, des herbages fument
Au ciel brûlé famine, et famine dans ta verdeur
Et dans le mot scellé monotone j’entends famine
Oho mots de nos sang que voici marteler le temps
De jours quatorze fois balancés dans le feu terrible
Je vois ce cœur tressé de fer, les jours crépus, le sang
Et au butin ce rien de sel à goût d’herbe brûlée
Ceux qui vinrent au sel comme des chiens à la curée
Tu n’avais ciel nuit allumeuse ni épieu
Même la nuit te quitta, la nuit même, tu brûlas
Forêts soleils et vents au bout de ta sagaie
Ils firent cargaison de la chair nue de tes enfants
Un si long temps la nue en sa ramée te prit
Saleuse de ce corps où les ans burent médusés
Fontaine tu piétais dans le ravage tu criais
Vie dessouchée, tu criais, ciel sans astre
Et nous en mer, impurs cadastres, d’îles noués
Pour ce sel sans tain qu’ils t’allouèrent les Paladins
Les Chevaliers de sang sous leurs écus rongés de vins
Pour ce butin que tu glanas dans le champ d’histoire
Quand ils eurent moisson de leur gloire sans gloire oho
Tant d’incendies de lèpres tant de nuit, et nul pardon
[…]

Outrenoir

Sur une exposition autour de Pierre Soulages (Centre Pompidou, 2010).

 

 

Le noir strié le noir enfanté le noir cousu le noir cru le noir mangé le noir percé le noir cherché le noir profond
le noir charbon le noir nuit encre le noir coulé le noir saoul le noir chanté crié craché craché craché craché le noir haine le noir caché le noir enfui le noir noir le noir blanc le noir lumière le noir langue le noir suffit le noir fondu dans la toile le noir fondu dans la chair le noir calciné le noir volé le noir le noir aime le noir mord le noir approche le noir embrase le noir apaise le noir vit le noir mort le noir soldat le noir guerrier le noir courage le noir mer creuse le noir qui surgit le noir dans un coin le noir sur la terre le noir ancré dans l’âme le noir entendu le noir ciel le noir s’agrandit le noir écrit les vides  le noir plein le noir là le noir présent le noir riche le noir en lui-même et pour lui-même le noir canon le noir poussière le noir reflet le noir tout le noir presque le noir juste noir le noir transperce le noir route le noir naît le noir mordu le noir trou le noir éloge du blanc le noir sarabande le noir rhapsodie du noir le noir file le noir délicatement le noir travaillé le noir malaxé le noir pâte épaisse brou goudron le noir tendu le noir filmé le noir déchiré en stries dans l’argent des marées le noir déposé le noir brisé le noir velours le noir qui révèle le noir le noir qui révèle le blanc le noir qui habite le noir écume le noir entr’ouvre le tableau le noir laisse l’espace le noir transperce l’espace le blanc est lame transperce la présence noire le noir uni pourtant amalgame de choses de lignes le noir évident le noir sarcastique le noir bouge le noir rythme le noir alternance le noir caresse le noir emplit le noir beau le noir fort le noir à la fin le noir stupeur le noir multiple le noir vrai le noir fumée le noir fou le noir âgé le noir voltige le noir rideau qui tombe le noir matière le noir oiseau blessé le noir charnière le noir dans le bleu le noir agrippé à l’empreinte le noir trace le noir ombre le noir acier le noir grave  le noir fenêtre le noir cicatrice le noir pays natal le noir vallée le noir roche le noir grisé le noir cendre le noir incendié le noir reste le noir s’allume le noir musique le noir son le noir vibre le noir résonance le noir se suffit le noir au couteau le noir bleu le noir aile le noir submerge le noir rappelle le noir souvenir le noir chat le noir déposé le noir su le noir terre le noir œil le noir vertige le noir brisé le noir temps le noir sagesse le noir savoir le noir nu le noir complet le noir forme le noir spirale le noir tourbillon le noir animal dans l’eau le noir doux le noir aquatique le noir épais le noir ciel le noir ressemble le noir fatigué le noir est un noir voulu le noir stupéfiant le noir pleur le noir stèle mortuaire le noir masque le noir qui sait l’histoire le noir fil de fer le noir grand le noir maigre le noir si feu si gelé le noir vestige le noir silence le noir si loin le noir distance le noir arbre le noir élevé le noir monument posé contre les nuages le noir se ranime le noir cerveau le noir pense le noir pensée le noir traverse le noir murmure le noir mur le noir cru mangé le noir dur le noir
profond


Le noir strié le noir enfanté le noir cousu le noir cru
le noir mangé le noir percé le noir cherché le noir profond
le noir charbon
le noir nuit encre le noir coulé le noir saoul le noir chanté crié craché craché craché craché
le noir haine le noir caché le noir enfui le noir noir le noir blanc le noir lumière le noir langue
le noir suffit le noir fondu dans la toile le noir fondu dans la chair le noir calciné
le noir volé le noir le noir aime le noir mord le noir approche le noir embrase le noir apaise
le noir vit le noir mort le noir soldat le noir guerrier
le noir courage le noir mer creuse le noir qui surgit
le noir dans un coin le noir sur la terre le noir ancré dans l’âme le noir entendu
le noir ciel
le noir s’agrandit le noir écrit les vides
le noir plein le noir là

le noir présent le noir riche le noir en lui-même et pour lui-même
le noir canon le noir poussière le noir reflet le noir tout le noir presque le noir juste noir
le noir transperce le noir route le noir naît le noir mordu
le noir trou le noir éloge du blanc le noir sarabande le noir rhapsodie du noir
le noir file le noir délicatement le noir travaillé le noir malaxé le noir pâte épaisse brou goudron
le noir tendu le noir filmé le noir déchiré en stries dans l’argent des marées le noir déposé le noir brisé
le noir velours le noir qui révèle le noir le noir qui révèle le blanc le noir qui habite le noir écume
le noir entr’ouvre le tableau le noir laisse l’espace le noir transperce l’espace le blanc est lame transperce la présence noire le noir uni pourtant amalgame de choses de lignes le noir évident le noir sarcastique
le noir bouge le noir rythme le noir alternance le noir caresse le noir emplit
le noir beau le noir fort le noir à la fin le noir stupeur le noir multiple
le noir vrai le noir fumée le noir fou le noir âgé le noir voltige le noir rideau qui tombe
le noir matière le noir oiseau blessé le noir charnière le noir dans le bleu
le noir agrippé à l’empreinte le noir trace le noir ombre le noir acier le noir grave
le noir fenêtre le noir cicatrice le noir pays natal le noir vallée
le noir roche le noir grisé le noir cendre le noir incendié
le noir reste le noir s’allume le noir musique le noir son le noir vibre le noir résonance
le noir se suffit le noir au couteau le noir bleu le noir aile
le noir submerge le noir rappelle le noir souvenir le noir chat le noir déposé le noir su le noir terre le noir œil le noir vertige le noir brisé le noir temps le noir sagesse
le noir savoir le noir nu le noir complet le noir forme le noir spirale le noir tourbillon
le noir animal dans l’eau le noir doux le noir aquatique le noir épais le noir ciel le noir ressemble le noir fatigué le noir est un noir voulu le noir stupéfiant
le noir pleur le noir stèle mortuaire le noir masque
le noir qui sait l’histoire le noir fil de fer le noir grand le noir maigre le noir si feu si gelé le noir vestige le noir silence le noir si loin le noir distance le noir arbre le noir élevé
le noir monument posé contre les nuages le noir se ranime le noir cerveau le noir pense le noir pensée le noir traverse le noir murmure le noir mur le noir cru mangé le noir dur le noir
profond