il n’y aura pas de cri
pas de chants
seule la moisissure délicate et ouatée
il suffirait de ne plus rien dire pour que s’installe ce pays de silence et de mort qui est là déjà aux portes
ici les Noirs les Arabes, tous ceux qu’on colonise
tous ceux qu’on meurtrit d’humiliations,
sont tués par des flics qui ont la bave aux lèvres
mais dont on dit toujours le lendemain
qu’ils étaient de bons flics de bon agents dépositaires de l’autorité publique
et protecteurs (du riche et du Blanc, c’est-à-dire de tous)
les flics jamais inquiets les flics de mépris grinçants de meurtre et de pouvoir les flics qui rient
au petit jour on condamne les victimes
on tue les morts quinze bonnes fois
on met ceux qui crient dans des petites fiches pour suivre leurs activités
on entrave les mains de celles qui appellent leurs bourreaux par leur nom
on tue le plus discrètement possible oui,
tout cela dure en silence
depuis
un
petit
moment
d’incalculables dizaines
d’années
sans que rien n’éclate
seule une
indolente odeur de putréfaction
ce jeune homme par exemple que vous voyez ici dans cet appartement parisien s’étonne d’entendre des cris tandis qu’il coupe
délicatement à l’aide d’un hachoir de boucher
sa femme en petits dés
certains jours quand il y a trop de sang sur les murs il demande gentiment si elle peut
passer l’éponge
depuis quelques années il s’intéresse au féminisme
il a fait beaucoup de progrès
il fera en sorte qu’il n’y ait pas de cris
il est gentil
il a toujours demandé gentiment à ses multiples amantes (mutuellement non-exclusives) de s’occuper du linge de la vaisselle des repas de payer les vêtements du gosse
de déboucher les chiottes faire les courses
de se forcer un peu (un peu) à écarter les jambes
un bon gars féministe
heureusement que les flics sont là se dit-il
quand, enfin rentré chez lui après sa journée de travail
il peut se repaître des informations les plus sordides au journal
dehors la mort lente et liquide s’infiltre
baignant dans son propre formol le jeune homme ne la sent qu’à peine,
il salue poliment très poliment le militaire qui garde le coin de la rue et celui qui en garde le numéro 5 et les trois condés qui s’emmerdent au numéro 8
un échange de regards injectés de sang des regards de viande
dans la ville-foule personne n’entend
et puis nous autres on
a renoncé à transformer la souffrance en arme
ce sera simplement tragique
il faudra simplement présenter une liste de ses hématomes, s’apitoyer
tandis que les flics tuent, tandis qu’à seize ans meurent à force d’être écorchés vifs
des mecs qui veulent des mecs et des filles qui veulent des filles
tandis que les femmes lentement le samedi soir en se déshabillant devant leur gars
par rituel
sont mangées de corbeaux intérieurs et tandis que l’Etat leur crache à la gueule en les pétrissant de précarité angoisses culpabilisation pauvreté jours sans manger nuits sans dormir avec l’augmentation des heures et les doubles journées la toute-puissance du patron le travail au travail la maison-travail la maison qui n’est jamais à soi
tandis qu’on laisse dormir dans le froid des gosses perclus d’horreur et du son strident des ruines
tandis que des cadavres dégueulent à la télévision qu’il faut travailler plus
se tuer à la tâche s’il le faut mais travailler plus
ils répètent ça d’un ton sévère de maîtres d’école
tandis que les
dépositaires de l’autorité publique
regarderont tout ça dans leurs ordinateurs, et constateront
que la petite délinquance
est en recrudescence
de nos jours
c’est inquiétant
et que pour arrêter l’insaisissable
il faut simplement tuer quelques hommes
construire
plus
de prisons
faire silence.