nous sommes là gens de la nuit, nous sommes éprouvés de soleil grisâtre nous
marcheurs insatiables des confins, des profondeurs, macérés brusqués masqués de solitude
nous sommes de la nuit lointaine et nous nous aimons
nous sommes deux ou des milliers sans nous connaître
la nuit nous enveloppe la nuit est silence mal taillé, amer et apaisant
je t’aime car tu aimes la nuit car tu la fais tienne et c’est la nuit que
tu fermes les yeux avec un sourire lent et délectable
je t’aime car tu aimes la nuit et ses heures lentes

c’est la nuit que nous apprenons à aimer la solitude
c’est la nuit qu’elle nous vient, nous tue, nous reprend dans ses bras et nous invite
et que seuls, très seuls, nous la tissons
solitude
il n’y a plus de voix
plus d’inconnus avec qui forcer un rire
seul le ronronnement doux et perpétuel des machines aveugles
la nuit est l’heure de ceux que tu choisis
heure de la bière fraîche
heure de la rose

je t’aime toi qui veux un feu et un chat pour toutes paroles
et ce soir tu veux l’arpenter, la nuit
tu veux t’en imprégner et regarder les voitures silencieuses et blanches la transpercer
la nuit épaisse et chaude de Paris
la nuit est l’heure des chats et des amants et la nuit je suis moi aussi ici parfois
avec toi
je tente d’entrer dans ta nuit
avec prudence sans te brusquer sans la déchirer, et je secoue la mienne pour ne pas
qu’elle soit trop humide, je te donne un peu de sa chaleur
la nuit je t’enlace et je sais que tu veux, que tu es bien enfin
la nuit je t’aime et je prends tes mains et tu as froid et tu me souris

l’ouverte

la nuit elle s’éveille seule
la nuit le soleil est blanc
gisent des écorces acides dans les draps dans la chambre
les écorces jaunes blafardes d’un citron de peinture flamande
une douleur simple et chuintante la prend quelque part
sous la peau

aube
elle découpe les fruits
en quartiers
soignés

            épine

cela se passe la nuit dans la nuit très éclatante la nuit blanche
ses mains sont une plainte aux dieux
et jusqu’au bout je bois
son regard d’ogive brisée qui m’accompagne

 

(16. 12. 2016/24. 01. 2017)

accueil et surveillance

Tôt le matin on vient en grand silence
admirer des objets morts et dorés
et ce musée d’histoires anecdotiques est comme un hôpital
avec une odeur vieille de poussière et de bois
une vieille France rachitique entre y admirer des portraits de Louis XVI
tous quasi identiques
et des tableaux de batailles rangées des uniformes napoléoniens un berceau impérial des médailles de guerre la chaussette de Voltaire le pot de chambre de Proust des dés à coudre
horloges éreintées au son famélique et cassant
des automates du dix-septième
très entretenus
soigneusement abandonnés au soleil sale de novembre
nous silhouettes noires veillons sur ces cadavres
attentives à chaque craquement, chaque fantôme
gardiennes inregardées
précaires depuis peu ou
tranquillement rendues folles par des
années à répéter cet ennui

personne ne dort plus jamais

le soir vient doucement
je travaille à la lampe
pièce froide et déchirures

autour de moi vit une foule
des amas d’étoiles et d’inconnus
j’ai dressé des remparts que je ne sais plus comment ni quand franchir.

mes yeux se ferment mais il faut travailler

gestes automatiques et pensées de hasard
ma tête me fait mal
ces temps-ci je vis aux crochets de mes rêves
mes mains tremblent
je ne sais plus comment apaiser ma faim

L’orage n’est plus très loin

la nuit quelques crapauds au bord des mares
l’orage n’est plus très loin
la foudre dans leur bouche
et leurs yeux de vacarme

huit heures
et le pain n’a pas levé
elle est agenouillée
avec un peu de farine dans ses cheveux et dans ses larmes

elle n’est pas apaisée
par la chanson amère des serpents
elle ne crie pas lorsqu’ils brisent son collier de leur morsure
elle regarde sans rien dire les perles bleues répandues

du sang sur sa robe et ses mains
dans ses poches les débris de son miroir

les crapauds se sont tus
livrant à la nuit l’élégance du ruisseau
impossible de se rendormir avant l’horizon

les libellules meurent en silence

 

26. 05. 2012.