tu crois que la nuit t’appartient. Tu crois que la solitude est tienne, que tu sais t’y abreuver, jamais dormante ; tu crois connaître son bouillonnement (lent et froid), ses spectres sales et rampants, minables, amicaux, qui rendent délicieuse cette paralysie de cloître. Ton cœur, c’est certain, n’admettra pas d’autre venin que celui de ces méduses-là, muettes, moirées, grouillantes. Il n’y a pas d’au-delà.
Tu ne vois pas le marbre dont tu es faite
ainsi qu’une tombe, tu crois que tu sais
tressaillir.
Tu crois que le silence est ta demeure, jusqu’à l’aube même — car tu les habites, ces moments de lumière étrange
où le monde vagit, se décompose dans sa propre naissance, tandis que l’air blême et léger comme un feuillage se cristallise autour de tes mains et de ton sommeil… tu les habites, jusqu’à l’extrême lisière
jusqu’à l’heure d’entrer, s’ensabler dans le jour pisseux des vivants, jour couleur de viande
et de musées et de rires et de meurtres. Tu hais cette heure de l’inconscience — obligatoire, aimée, supérieure. L’heure de sourire et de parler. Pleine d’insectes. Tu glisses et deviens toi-même un spectre, sale et rampant, minable, amical, et tu vis ainsi échappée toujours. Dehors on te tuera, c’est vrai, et toi tu crois que tu ne veux pas mourir.
Tu crois que ta solitude est un réseau en toi de profondes racines. Et qu’elle est ta frontière, et que là est la paix. Pourtant tu as faim.