sans aucun dieu je cours à l’intérieur de moi
je me désoriente selon mon propre souffle
je me cabre comme une faille sous-marine
je veux savoir dites-moi amis
puis-je prétendre à l’air libre ?
puis-je prétendre au sommeil lourd
à la saleté
à l’expérience commune
à une corporalité de cris
qui serait frôlée, désirée ?
ne m’écoutez pas poliment ; hurlez-moi
lacérez la pierraille dure de mes jambes
pour me dire : je te veux aussi terriblement
qu’un arrachement à l’aliénation.
je dois briser
mon refus minéral de croire la chair,
ma surdité au temps, aux mains et aux paroles
je dois trouver en moi-même quelque chose entre sève et harnachement
— mais dites-moi, puis-je prétendre à l’entièreté dans vos regards ?
puis-je prétendre à l’évidence qui a cours entre vous ?
puis-je prétendre à votre sincérité ? pourrai-je pénétrer votre monde
où l’on ne trouve ni charniers ni blocs d’ombre familiers
ni gréements ?
suis-je digne de n’être pas seule ?
la lumière de la lune est douce — et froide. Comment entrer sereine
dans la clarté du corps
et de sa destruction ?
vous aimez tant dire les ventres, les assemblées, la perte de conscience, les entremêlements extatiques, les démonstrations, le jeu, le futile, les écarts, l’objet pornographique, l’inutile, le rire insaisissable, les trébuchements, l’évanouissement d’avoir trop bu, la souillure, les artifices, la simplicité, le vide meublé, et partout dans les rues on peut entendre : c’est ce qui fait que la vie
vaut la peine d’être vécue
et moi qui aime ça qui déteste ça
me manque beaucoup d’apaisement
pour le vivre comme vous
me manque beaucoup de joie
pour le dire comme vous — sans nécessité de paroles raisonnables
comment faites-vous ? quel est mon échec ?
chaque fois que je veux vous rejoindre amis
je m’éloigne de vous
en mes boyaux mon buste grande crevaison