« On eût dit que l’offense initiale du meurtre entraînait dans son sillage, et donnait à toute action subséquente, quelque chose de monstrueux, de paradoxal et de faux, contraire à la fois à la raison et à la nature. »
W. Faulkner, Lumière d’août, 1932
Des soldats égorgent un homme
qui n’avait sur lui que les clés de sa maison.
Que valent les morts dans ma bouche ? Je les mâche et recrache quelques pépins. Je ne digère que quelques lambeaux de leur vérité, je les parle et les consomme et les oublie
dans une torpeur épuisée d’images
sur cette Terre
où j’habite. MAIS
EN VRAI
en vrai mes amis
je voudrais entrer dans chaque visage imperceptiblement
dans l’instant où le cœur plonge et s’éteint
et consoler tous les yeux toutes les lèvres
de toute leur amère mémoire
cette Terre travaillée d’un plexus de tortures
l’erreur consiste à penser qu’on peut y vivre comme un arbre
vivre d’un tremblement éternel mais sans jamais
se désarticuler
toute la tristesse circulaire
l’ennui qu’on remâche
n’est pas une plante
n’est pas une maison
seulement une monnaie
il faut vivre aujourd’hui
dans le monde dépossédé du monde
il faut faire lieu dans le ventre des glaciers morts
dans le bruit du désossement
pour l’homme qui dort sous un pont quand gèle le fleuve
il faut vivre aujourd’hui pour l’enfant tué par le flic
ici dans ce nœud de l’espace où le poing se lève
l’eau se sépare comme un linceul ouvert
l’eau déborde