Amandier blanc

depuis que tu es parti me manque ton être-là, ton être au monde, tes mains très réelles et pleines d’aurore et de racines
ta tendresse d’amandier blanc, ton ombre tangible, tes épaules taillées de cèdre profond. Le manque de toi me frôle, m’engloutit, me quitte, me frôle encore, fourmille
forme tout autour de moi mille chemins obscurs, qui s’ouvrent
prospèrent près des étoiles et du murmure de la nuit
c’est un dédale de méduses et de vagues, car je t’aime
quiétude sourde du plomb
que je voudrais pouvoir briser d’un coup de hache
pour y plonger, avoir à nouveau autour de moi quelque chose de fluide et changeant : la vie qui vient.

l’apaisement de moi-même est resté pourtant, comme une chanson que tu m’aurais offerte, et que j’aurais gardée désormais pour toujours. Je sais la chanter seule, j’ai toujours appris les chants par cœur oui, et j’en invente d’autres, des milliers d’autres, jusqu’à ne plus entendre la tristesse, l’obscurité stridente, jusqu’à oublier la douleur et la terre qui se fend. Et je construis
un vaisseau, avec mon savoir retrouvé de la solitude. J’ai abattu trois grands chênes oui, tu peux me croire, moi seule et minuscule je les assemble
avec force et grande solidité boréale, je couds les voiles, ma main ne tremble pas.
Je cuis mon pain, tu sais, sans toi, j’attise les braises et ravive le feu qui m’appartient, je chausse mes bottes de jardinier, la roseraie — tu y étais indifférent, te souviens-tu ? — la roseraie, plus que jamais splendide. Je fais vivre par moi-même des lueurs, des milliers de lueurs et des milliers de chansons, je les dépose sur la plage froide et je les suis des yeux
pour ne plus me perdre. Je ne veux pas être
rongée, couverte d’algues amères dans des années encore, pour toi
toi qui ne t’émerveillais pas des roses,
toi qui oubliais de regarder la lumière des arbres
toi qui ne voyais pas les mille miroirs et la beauté des mille pierres sales de la ville
toi qui ne voyais pas ma tendresse
toi qui ignorais les contemplations, toi qui trouvais si difficile de dire je t’aime
certainement cet effort constant
pour amener dans tes yeux la moindre luciole, je ne le regrette pas. Mais qui tu es me manque, oui, et je veux encore ta tendresse d’amandier blanc, je veux encore ta douceur, tes mains pleines d’aurore, ton sourire
et tes épaules comme le cèdre
où me reposer un moment