je pense à vous camarades
aux quelques nuits que j’ai passées près de vous
dans la montagne
vieille grange immense et froide dans l’été
et on se réchauffait avec couvertures et cafés trop forts
et on écoutait les histoires râpeuses des unes et des autres
les étreintes étaient brèves et les joues rouges
dans tous les yeux se lisait la joie de ne pas ressentir l’absence, d’oublier le reste
la reconnaissance d’être seulement là et bienvenus
on se tutoyait et on chantait ensemble
avec du sommeil et du vin dans la voix, je me souviens de la fille qui se lève soudain en riant d’autre chose et qui ébouriffe ses ailes
et qui chante avec sa voix de rocaille trouée solaire
ce sont les moments où la camaraderie signifie vraiment quelque chose au
milieu de la lutte constante désespérée contre tout ce qui nous détruit, la lutte dont on ose à peine penser qu’elle ne sera pas vaine
ce sont les moments où la vieille chanson de chevaux fougueux, de voleurs et de tristesse
où la vieille chanson nous rend invincibles
cette nuit je marche seule et je chante cette chanson à nouveau
et vous seuls pourriez savoir la joie fragile
tissée de larmes et de poings
je sais que vous seuls pouvez vous emparer de ces hymnes crasseux chapardés
et hocher la tête, allongés sur les canapés éventrés dans la grange
avec des sourires d’évadés
à vous seuls cette chanson évoque le miel, les mains pleines de boue le ruisseau glacé qui brille au soleil
transparence
les flics qui se rendent
à vous seuls cette valse de traviole
à vous seuls cette chanson de cris sauvages et doux
à vous seuls cette chanson du fin fond des nuits
la musique des camarades est la musique des bas-fonds et du plus haut des montagnes
la musique des camarades résonne dans la rue déserte
toute la musique fragile éraillée et qui crie
chantée ensemble comme une seule rage
une seule mélancolie