Matière de Bretagne – Paul Celan

Lumière des genêts, jaune, les pentes
bavent du pus vers le ciel, l’épine
courtise la blessure, des cloches
y sonnent, c’est le soir, le néant
roule ses mers pour la prière
la voile sang met cap sur toi.

[…]

(Me connaissez-vous,
mains ? j’ai suivi
le chemin fourché que vous indiquiez, ma bouche
crachait son cailloutis, j’allais, mon temps,
corniche de neige errante, projetait son ombre — m’avez-vous connu ?)

Mains, la plaie cour-
tisée d’épines, les cloches sonnent,
mains, le néant, ses mers
mains, dans la lumière des genêts, la
voile sang
met cap sur toi

Toi, 
tu apprends
tu apprends à tes mains
tu apprends à tes mains, leur apprends
tu apprends à tes mains
————————————– à dormir

Paul Celan, extrait du recueil Sprachgitter, 1959. Traduction de Jean-Pierre Lefebvre dans Choix de Poèmes, Gallimard, 1998.

Note du traducteur au sujet du premier vers : « Voir le poème « breton » de Heredia, Soleil couchant : “Les ajoncs éclatants, parure du granit, / Dorent l’âpre sommet que le couchant allume…” in Les Trophées. Jaune connote presque toujours, chez Celan, l’étoile jaune. Il y a une association sémantique et historique entre les Bretons (et la Bretagne) et les Juifs. Berit, l’Alliance, est une notion centrale de la culture juive. »