Écriture automatique – III

Si tu me comprenais, tu n’aurais pas vécu ces bouches et ces sursauts. Avant. Longtemps avant nous. Tu ne te serais pas réveillé dans la pénombre de ces corps. Ils seraient restés muets pour tes mains, sans fouaillement d’aube. Tu verrais cette déchirure et cette beauté miraculeuse, et tu me prendrais dans tes bras en me disant : ça n’existe plus. Tu ne m’aurais rien arraché. Dis-le.

Vivre, contre mes vieux zéphyrs, une vie de profonds fragments. Retrouver le toucher et la transparence, comme le grain sanglant de grenade entre les seins de celle que j’ai aimée. Bribes d’une force inconnue, elles ondoient dans mes mains. Les chauve-souris remontent du centre de la terre et envahissent les montagnes, la forêt s’effondre, articulation infinie de questions infinies. Dents grinçantes le long du précipice, aubépine luminescente, la fille croule, hurle dans la nuit près de la cathédrale qui a des airs de steppe, le cœur étouffé par les marées, sa foi recluse est avalée par l’entièreté du suicide. Les anges organisent une collecte grandiose d’insectes et de ruines, et je vois bien l’horreur de ce qui avance, l’horreur de ce qui décroît, l’horreur de ce qui féconde et de ce qui s’empare, l’horreur de l’espérance et des glaives. Les âmes bougent, se meuvent infiniment, sans attester de brisure, sans divination, sans connaître de trêve, sans chaleur aucune, comme un seul automate de latex, et les oiseaux du nord cherchent des coquillages ici-bas, au milieu des grincements et de l’alcool. Je ne parle plus qu’à moi-même. Tourterelles, vous passez en moi. Le soleil se couche, répandu comme des boyaux sur la pierre des dieux.